Session 3 : Science en scène, science en récit

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Daniel Raichvarg, Professeur des Universités, Laboratoire CIMEOS (EA 4177), Université de Bourgogne

Philippe Ricaud, Maître de Conférences, Laboratoire CIMEOS (EA 4177), Université de Bourgogne

Espaces et dispositifs de médiation. Chansons de science et valeurs de réception

Résumé : Le spectacle vivant, quand il prend pour objet les (techno-)sciences, propose des dispositifs de médiation qui interrogent les problématiques des chercheurs du champ de la vulgarisation et/ou de la culture scientifique. Ces dispositifs posent des questions relatives à la création des œuvres reconnues comme en faisant partie et des questions relatives à l’élucidation des mondes que ces œuvres croisent – celui des créateurs, des analyseurs, des praticiens et des théoriciens : ces interrogations sont classiques mais elles semblent prendre des valeurs particulières, s’agit des (techno-)sciences. Cependant, parmi ces dispositifs relevant du spectacle vivant, il existe un corpus particulier composé de chansons de (techno-)sciences. Ce repertoire, relativement abondant dans sa diachronicité, est exploité par la compagnie Les Bateleurs de la Science, sous des formes diverses – spectacles ambulatoires de rue, cabarets. Ce corpus et sa mise en œuvre jouent avec ce que l’on peut qualifier d’immersion participative (Michel Valmer, Le théâtre de sciences, 2006) : immersion par identification, immersion par participation du corps, immersion par cognition. Ce dispositif parce qu’il est médiatique-populaire et porteur de situations d’immersion devient-il enclencheur d’actions et si oui lesquelles ? En suivant les topiques qu’il mobilise et énoncées par Luc Boltanski (La souffrance à distance, 1996) – topique de la dérision, topique du quotidien, topique esthétique -, la réponse pourrait être “oui mais non”, ou bien “non mais oui”. En somme, par la problématique SIC (Sciences / Imaginaires / Communication), ces chansons de (techno-)sciences interrogent les modèles d’analyse de la vulgarisation des sciences.

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Joanne Clavel, Post-doctorante de l’Université de Liège, Belgique

Quand la médiation scientifique s’empare de la danse

Résumé : Si les rapports entre l’art et la science ont une longue histoire, émergent, depuis peu de temps, des dispositifs de transmission des savoirs scientifiques qui font appel à l’art chorégraphique. Ces collaborations entre chercheurs et danseurs proposent, par exemple, un nouveau type de spectacle chorégraphique nommé « conférence dansée ». La particularité de l’art chorégraphique est qu’il relève de la transmission d’un savoir par une communication non verbale impliquant une chaîne d’énonciateurs apportant leurs interprétations personnelles. De plus, la subjectivité inhérente à la réception de la danse par un public demande une interprétation personnelle qui tranche fortement avec les objectifs de transmission scientifique classique. Ainsi, on peut expliquer le désir des scientifiques d’accompagner ou d’intégrer une conférence scientifique aux spectacles chorégraphiques. Mais pourquoi faire appel à la danse dans ce cas ? Inversement, pourquoi vouloir restreindre l’interprétation à une signification scientifique quand on fait appel à l’art des multiples interprétations ? Quelles sont les caractéristiques de ces formes de collaborations ? Comment la mise en commun de ces deux mondes si différents opère-t-elle ? Et que perçoit le spectateur ?

A partir de quelques exemples de co-créations art & science – à savoir les démarches des compagnies Hallet-Egayan, Acte et Natural Movement – nous allons étudier comment se nouent les objectifs et les enjeux des deux univers  artistique et scientifique. Nous souhaitons étudier le processus de médiation de la production à la réception en proposant quelques résultas d’analyse et d’enquête qui constituent une première approche de l’ensemble de ce processus. Afin de décrire la manière dont s’effectue la transmission, le transfert ou la vulgarisation des connaissances scientifiques dans et par l’art nous avons étudié les intentions des acteurs dans la production des œuvres. Pour cela, nous avons questionné, à l’aide d’une méthode sociologique d’enquête semi-directive, les différents acteurs impliqués dans les deux premières compagnies citées ci-dessus[1]. L’analyse du rôle que se donnent chacun des acteurs (scientifique, chorégraphe, danseurs) ainsi que celle de leurs conceptions respectives de la science[2] et de sa transmission, doit nous permettre d’apporter un premier éclairage à un dispositif de vulgarisation dont les enjeux peuvent apparaître a priori contradictoires.

Pour aborder ensuite la question de la réception, nous prendrons appui sur une étude menée lors de la fête de la science 2009 à l’Université Paris XI. Le collectif Natural Movement y présentait une vidéo dansée accompagnée d’une conférence scientifique. Nous avons effectué une étude de réception par questionnaire, puis, en laboratoire, une étude cognitive portant sur l’attention du récepteur visionnant les enregistrements de danse et de conférence.[3]

En confrontant les enquêtes auprès des producteurs, l’analyse des dispositifs ainsi que l’enquête de réception, nous espérons apporter un premier éclairage sur cette pratique de transmission par la danse, encore peu étudiée.

Notes :

  1. Le recueil de données n’est pas encore complet actuellement (Juillet 2010).
  2. Les domaines scientifiques abordés dans les différents travaux des compagnies sont : l’Evolution, la Physique des matériaux, l’Immunologie, l’Anthropologie et l’Ecologie urbaine
  3. Une quarantaine de volontaires ont ainsi été soumis à un protocole de visionnement de vidéos en situation semi-naturelle.  L’attention a été mesurée à partir de données comportementales et plus précisément de la direction du regard, mesurées à l’aide de l’enregistrement vidéo des volontaires.

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Catherine Brugière, Maître de conférences, LEPS-LIRDHIST, Université de Lyon

Marianne Chouteau, Professeur associée, LEPS-STOICA, université de Lyon

Céline Nguyen, Maître de conférences, LEPS-STOICA, université de Lyon

Eric Triquet, Maître de conférences (HDR), LEPS-LIRDHIST, université de Lyon et IUFM de Grenoble

Les représentations de la science et de la technique dans les séries policières à caractère scientifique, quel apport du récit ?

Résumé :

Dès la fin des années 1980 un théoricien de la communication comme Fisher (1987) proposait le concept d’« Homo narrans », pour marquer le fait que toute communication humaine use de la narration. Sur un plan cognitif, Bruner (1992) a de son côté montré que nous donnons du sens à notre expérience par l’intermédiaire du récit. Jacobi (1999) affirme quant à lui  que la vulgarisation scientifique, sous toutes ses formes, use du récit pour diffuser des savoirs ou pour mettre en scène la recherche scientifique. Mais peu de travaux se sont intéressés aux productions qui intègrent les sciences et techniques de manière « détournée » sans intention vulgarisatrice avouée, comme les séries d’investigation policières qui occupent les écrans de télévision de nombreux pays depuis les années 2000 : Les Experts ou Bones. Ces deux séries mettent en scène des équipes constituées le plus souvent d’un policier de terrain et de policiers scientifiques experts en « CSI » (Crime scene Investigation[1]), en anthropologie judiciaire (Bones), en informatique (Bones et Les Experts), en médecine légale (Bones et Les Experts).

Notre recherche interdisciplinaire[2] se propose de déterminer en quoi l’approche par le récit de fiction peut constituer une nouvelle façon de parler de la science et de la technique, de les interroger, de contribuer à une circulation des idées et des savoirs en jeu dans la société, enfin de créer ou renforcer certains types de représentations stéréotypées et d’attitudes à l’égard de la science et de la technique.

La prise en compte de ces manières de dire la science et la technique et de penser leurs rapports appelle deux études complémentaires

La prise en compte de ces manières de dire la science et la technique et de penser leurs rapports appelle deux études complémentaires :

  • dans un premier temps, un travail de caractérisation du genre « chimère » et d’inventaire des formes au travers desquelles ce genre s’exprime ;
  • puis une d’analyse des potentialités, limites et enjeux du genre dans une perspective de médiation de la science et de la technique.

Cette seconde étude, qui vise à analyser le traitement fictionnel de la science et de la technique passe par une étude fine des modalités du traitement linguistique et iconographique du récit en général – et du récit télévisé en particulier –  et des fonctions dévolues au récit :

  • la fonction de représentation : jeux de vraisemblance dans la mise en scène des lieux, des acteurs, des objets mobilisés ;
  • la fonction de problématisation : couplage d’un questionnement d’ordre scientifique avec l’intrigue d’ordre policière : mener une enquête afin de démasquer le(s) coupable(s) ;
  • la fonction d’explication : résolution de l’enquête et mobilisation de savoirs et/ou de techniques scientifiques.

Pour illustrer notre propos, nous nous appuierons sur des séquences clés contenues dans les épisodes.

Notes :

  1. Titre original des Experts.
  2. Nos disciplines de rattachement sont en effet les sciences de l’éducation et les sciences de l’information et de la communication.

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Claude Nosal, Professeur des universités, Université de Haute Alsace

Savoirs savants et savoirs profanes à l’épreuve des fictions policières. Essai d’épistémologie pratique

Résumé : Aller vers la science ne signifie pas que l’on entende se confondre avec elle, ni accepter toutes ses façons de voir ou d’agir en matière de méthodologie ou de construire une logique particulière de récit. Par ailleurs, toutes sortes de spécialistes étudient aujourd’hui les logiques de la vie quotidienne, communes, ordinaires, naturelles ou naïves, à des fins diverses : la modélisation des échanges verbaux dans des univers de discours restreints, la formalisation universelle du raisonnement (Gardin, 1991) ou l’énoncé d’une théorie générale de la communication (Sperber et Wilson, 1986). Le critère de séparation entre les deux serait, dans notre perspective de modèle et récit, la nature du rapport qu’entretiennent les propositions de chacun avec les données empiriques : rapport obligé dans le premier cas, relâché dans le second cas.

L’épistémologie à laquelle se réfère cette communication est une épistémologie pratique où l’on ne traite guère de problèmes spéculatifs, mais seulement de questions dites appliquées. Ces questions portent ici sur les mécanismes et sur les fondements de l’argumentation scientifique et profane : quelles sont les opérations mobilisées dans ces raisonnements ? Sur quelles bases de données ces raisonnements s’appuient-ils ? Comment valide-t-on ces raisonnements ?

L’approche choisie est celle de confronter les logiques formelles (déduction, induction, inhérence) à d’autres « logiques » comme l’adduction et la sérendipité.

A partir des fictions policières d’Agatha Christie, Conan Doyle, Tony Hillermann, Edgar Poe, Jo Upfield, Robert Van Gulik, la communication vise à interpeller les savoirs dits savants et les savoirs dits profanes ou citoyens. Pour ce faire, nous empruntons, tout en l’adaptant, notre méthode à l’archéologie. Il s’agissait, à la fin des années 1950, de reproduire le raisonnement suivi par l’assyriologue Paul Garelli (Gardin&Garelli 1961) pour reconstituer un réseau économique célèbre parmi les orientalistes, établi en Cappadoce au début du IIème millénaire par des marchands originaires de Haute Mésopotamie. Ce réseau très puissant nous est connu par des tablettes cunéiformes qui sont les « lettres » échangées par ces marchands, recueillies par milliers dans les fouilles d’Anatolie. Le problème était d’intégrer des centaines de milliers d’informations pour reconstituer la structure générale du réseau. Le rôle de son collègue Jean-Claude Gardin était de transformer ses raisonnements en un programme, lequel simulait la démarche de l’assyriologue pour l’appliquer plus vite à des corpus plus larges. Pour ce faire, Gardin s’est appuyé à l’époque sur le logicien Jean-Blaise Grize qui plaidait pour une représentation des raisonnements de la logique dite naturelle sous forme de « schématisations ». A ses yeux, la schématisation est un outil commode pour étudier l’architecture de nos constructions savantes ;  « des schémas qui permettent d’embrasser d’un coup d’œil les cheminements et enchaînements logiques voire des édifices théoriques entiers » (Grignon 1995 : 3)

Nous appliquerons aux fictions  policières le même démarche de schématisation pour faire émerger et reformuler les raisonnements utilisés par les différents enquêteurs. Nous comparerons ensuite les résultats.

Nous essaierons de valider notre hypothèse de travail :  ne seraient-ils pas aussi des « systèmes de pensée » au même titre que le sont les pensées rationnelles, discursives, rhétoriques etc. Ils constitueraient alors une modalité de cheminement de l’interprétation humaine, qui se pose en alternative des cheminements formels ; et non pas en substitution de ceux-ci. Dans un genre comme dans un autre, nous sommes confrontés à des exigences intellectuelles très fortes.

Nous postulons que l’anatomie comparée des constructions savantes et profanes,  et les questions d’épistémologie qui en sont le produit pourraient contribuer à fournir des éclairages pertinents voire des outils interprétatifs permettant de répondre plus directement aux interrogations de l’axe 3.

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