Session 2. Science et citoyens : les conditions d’un dialogue

(Retour programme)

Philippe Solal, INSA Toulouse et Béatrice Jalenques-Vigouroux, LASCO (UCL) INSA Toulouse
Etude des perceptions, des discours et des formes de médiation  concernant les risques liés aux nanotechnologies

L’objet de cette communication est double et à deux voix, puisqu’elle propose des recherches partagées dans les domaines de la Philosophie des sciences et des Sciences de l’Information et de la Communication. Cette étude interrogera la façon dont les scientifiques en laboratoire développent une culture spécifique liée à leurs objets de recherche. Plus précisément, voici la problématique retenue : comment les scientifiques contribuent-ils à construire le sens attribué aux objets qu’ils manipulent, et plus spécifiquement leurs connotations en termes de risque ? Une hypothèse proposée ici consiste à penser la relation de confiance entre chercheurs et société civile comme nécessitant la construction d’un savoir partagé concernant en particulier la dimension des usages à court et long terme des objets scientifiques concernés. Ce savoir partagé induirait l’idée d’une médiation scientifique entre chercheurs et profanes, incluant également des aspects sociaux tels que la perception du risque. Un terrain d’étude a été retenu pour vérifier cette hypothèse : le Laboratoire de Physique et Chimie des Nano-objets (LPCNO).

La première partie de cette communication portera sur les enjeux philosophiques de la perception des sciences aujourd’hui, par la société civile, en prenant notamment pour support d’analyse les controverses autour des nanotechnologies. Entre vision désenchantée de la science, ou au contraire vision hégémonique, cette perception oscille entre confiance  et défiance. Notre analyse mobilisera des concepts issus de la théorie de la complexité développée par Edgar Morin (La Méthode de la méthode). Elle  pourra ainsi examiner la manière dont le Haut Conseil de la Science et de la Technologie tente de répondre aux éléments de cette controverse dans le cadre d’une réflexion sur la médiation scientifique.

Une deuxième partie présentera différents points d’analyse issus d’une recherche en cours sur le LPCNO. Il s’agira ici de se focaliser sur le dispositif de médiation scientifique mis en place par les chercheurs au sein du LPCNO, afin de comprendre comment le laboratoire prend position face aux controverses liées aux nanotechnologies au sein de l’espace public. Le but de cette analyse sera ainsi de repérer les formes de dialogue existantes entre chercheurs et profanes, d’examiner les discours traitant de l’incompréhension voire du quiproquo entre eux, et de pouvoir évaluer à quel point la notion de risque intervient au sein des énoncés présents au sein de ce dispositif de médiation scientifique. Cette étude tentera donc de repérer les divergences existantes d’abord entre scientifiques concernant la notion de risque, en l’occurrence chimistes et physiciens, avant d’identifier également les différences entre chercheurs et profanes. Analyse de discours et analyse narratologique seront mobilisées sur le plan méthodologique.

En conclusion, cette communication tentera de contribuer à la mise en lumière des caractéristiques des relations entre scientifiques et profanes autour d’un objet spécifique, les nanotechnologies, et de montrer ainsi comment la science se construit dans un inter discours où la dimension du profane a sa place, à travers notamment la co-construction de la notion de risque.

.

Alain Bovet, Institut Marcel Mauss, EHESS, Paris
Processes of depoliticisation in the controversies on nanotechnologies in the United Kingdom and France

The purpose of this paper is to analyse and compare processes of depoliticisation in the controversies on nanotechnologies in the United Kingdom and France. This will be achieved through an investigation of the public controversies in the UK and France. The analysis of the public controversies will be based on the electronic database of two British and French quality newspapers.

On the one hand, nanotechnologies have been the subject of numerous controversies. On the other hand, surveys show that people in many European countries think they do not have the political means to play a role in their development. The research project attempts to understand the relation between the two facts. In previous research on GMO controversies, I identified ways of problematising, i.e. identifying what the problem is, and of publicising, i.e. establishing whose problem it is, which engender depoliticisation, construed as the reduction of the means through which a public can understand and manage its problems.

The paper adopts a pragmatist approach to the public sphere. Inspired by John Dewey’s work, it apprehends politicisation, i.e. the constitution of the political public, as the result of a collective inquiry launched to understand and control the potential negative consequences of a situation. There are ways of conducting the inquiry which result in its interruption or reduction. Such incomplete or aborted inquiries are conceived as engendering depoliticisation. In my previous work on public controversies on GMOs in Switzerland, processes of depoliticisation recurrently emerged. The paper assumes that such processes are not specific to Switzerland and GMOs and are thus expected to emerge in the UK and France about nanotechnologies. This assumption is supported by various European studies which identify a feeling of powerlessness of the public toward nanotechnologies.

.

Sylvie Bresson Gillet, UFR Ingémédia, Université du Sud Toulon Var
La citoyenneté scientifique sous tutelle de la Commission nationale du débat public ?

En incitant le citoyen français à la discussion dans le cadre d’un projet sociotechnique international portant sur la recherche nucléaire, le débat public « ITER[1] en Provence », procédure délibérative qui permet la confrontation des points de vue et l’émergence d’une information plurielle, fournit une situation propice à l’exploration d’un dispositif intégrant opinion publique et exercice de citoyenneté scientifique, pouvant aboutir à une nouvelle conception des rapports entre science et société.

La Commission nationale du débat public pose en postulat que « Le débat public est une étape dans le processus d’élaboration du projet. Tout n’est pas joué et votre opinion sera une contribution à la décision. Il est donc important que vous vous exprimiez ».

Mais qu’en est-il concrètement ? De quelles façons est intégrée la parole du citoyen dans les processus décisionnels ? Quels sont les impacts de ce dispositif en termes d’influence dans l’élaboration des politiques en matière de recherches ?

Idéalement, cette procédure devrait être une interface entre production des connaissances et préparation des choix ouvrant par là même les voies d’une meilleure association du citoyen à la décision publique. Cependant, ce type de procédure présente des limites de conception et de mise en œuvre, malgré l’évolution certaine d’une meilleure prise en compte de l’injonction de participation qui préside aujourd’hui aux relations entre le citoyen, organisé ou non, et la puissance publique. Au-delà de cette reconnaissance, l’étude du débat public mis en œuvre par la CNDP[2] dans le contexte d’une des politiques essentielles de l’Etat : la politique énergétique, permet de constater que la participation du citoyen ordinaire en termes d’influence sur la décision reste symbolique. En outre, l’enjeu de l’agir communicationnel du débat public est comme l’indique le président de la CPDP[3] ITER : « La finalité même du débat public fait du contenu des réunions une sorte de contrat social de référence. » De la sorte, ce dispositif va permettre la formation d’une opinion publique, sous influence, visant à l’appropriation du projet et de ce fait conduire les acteurs à contribuer à son acceptation ; en fait, le débat est un facilitateur entre les parties : son rôle d’éclairage de la décision publique doit permettre d’aboutir à une sorte de « consentement éclairé ».

Mais d’un point de vue éthique, cette nouvelle manière de communiquer permet-elle à la population d’améliorer sa compréhension des politiques scientifiques, d’exprimer ses requêtes et les conditions de l’acceptabilité des projets ou encore de stimuler la démocratie scientifique ?

A partir d’une approche interactionniste, à travers le débat public ITER, cette étude montre les balbutiements d’une politique publique de concertation scientifique dans laquelle l’Etat français s’engage sans pour autant vouloir abandonner ses prérogatives traditionnelles. Enfin cette étude précise l’idée d’une nouvelle conception de la culture scientifique au service de l’exigence démocratique émanant de deux origines conceptuelles celle de l’UE et de l’Etat français. La conjonction des deux approches semblant demeurer incertaine.

Notes :

  1. International Thermonuclear Experimental Reactor
  2. Commission nationale du débat public
  3. Commission particulière du débat public

(Retour programme)