Marie Musset, ENS de Lyon
Pluralités des rapports aux savoirs : place et rôle des manuels de littérature (1902-2007) dans la construction du rapport à la science
En Europe, le « manque de carrières scientifiques » relevé par les rapports officiels sert de toile de fond à un grand nombre de décisions prises en ce qui concerne la formation, les programmes ou les engagements publics comme privés. Dans le domaine scolaire, on peut donc s’interroger sur l’articulation entre les disciplines scientifiques et littéraires et sur les interférences entre des discours et les enjeux dont relèvent ces deux types de disciplines.
En ce qui concerne la construction du rapport à la science, le manuel de littérature est ainsi un objet intéressant qui permet de faire un « pas de côté » et d’aller à la rencontre des représentations de la science en classe de français.
Le manuel instaure en effet un rapport au savoir particulier. Objet trivial (Jeanneret, 86) il se définit par la « clôture du signifié », indispensable aux formations idéologiques (Jurdant, 1969). Les connaissances y sont fixées pour un temps (il y a un travail de transposition didactique, de transfert du savoir savant vers le savoir scolaire) en même temps que la commande institutionnelle qui préside au manuel fait intervenir différents facteurs : les programmes scolaires, les choix éditoriaux notamment.
Réfléchissant à la fortune du « modèle du déficit », nous proposons d’interroger la place de la science dans des manuels de littérature entre 1902 et 2007, soit à partir de la réforme qui met à égalité lettres et sciences au baccalauréat jusqu’ à ces dernières années qui voient l’émergence de la composante « science-société ». Pendant cette période, divers dispositifs ont été mis en place pour sensibiliser les acteurs, notamment scolaires, aux différents enjeux de la science. Mais l’impact des représentations des manuels reste méconnu et sans doute sous estimé. Héros solitaire, personnage de science-fiction ou docte éclairant les profanes, ce savant des manuels scolaires est-il à même de pouvoir représenter les enjeux complexes de la science d’aujourd’hui et d’accompagner le questionnement et la motivation des élèves ? Nous croiserons alors incidemment la question du genre, tant la femme des manuels illustre en un sens le « modèle du déficit » : n’est-elle pas le « public idéal » d’un savant affairé à combler le fossé qui les sépare ?
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Guillaume Carnino, EHESS (Centre Alexandre Koyré)
La Science pour tous. Culture savante et science populaire de 1850 à 1900
Vers 1850, la science populaire, principalement organisée autour de revues de vulgarisation savante, prend son essor. Si plusieurs travaux ont déjà creusé le sujet (Béguet, Bensaude-Vincent, Rasmussen, Locher, etc.), nous entendons ici apporter un éclairage spécifique afin de montrer combien la science populaire invente la possibilité même d’un questionnement sur « science et culture ».
Tout d’abord, il s’agira de montrer que la vulgarisation scientifique ne consiste pas tant à populariser le contenu de la science, qu’à répandre l’idée d’une science une et indivisible, qui constitue la toile de fond d’un réel inédit, c’est-à-dire d’une ontologie nouvelle fondée sur des lois savantes et non plus sur le sens commun ou la dimension spirituelle du monde environnant. En d’autres termes, nous soutiendrons que la conséquence première de la « science pour tous » n’est pas tant de faire connaître les dernières découvertes savantes ou de revendiquer la démocratisation de l’activité scientifique, que de faire pénétrer l’idée même de science au plus profond des mentalités.
Une fois ce premier point établi, on essaiera de comprendre les ambitions proprement culturelles des nouveaux « critiques de science », qui entendent exercer au même titre que les critiques littéraires ou artistiques – quand ils ne sont pas les deux à la fois, comme l’ambitionne Maxime Du Camp lorsqu’il publie ses Chants modernes.
Enfin, Gustave Flaubert et son ouvrage laissé inachevé à sa mort, Bouvard et Pécuchet, nous permettra d’interroger la réalité du mythe d’une science pour tous, afin de questionner le complexe écheveau politique dans lequel s’insère l’idée de science dans le dernier tiers du siècle. On élaborera alors plusieurs hypothèses sur les liens que le concept permet de tisser entre technocratie (Belhoste notamment) et démocratie.
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Alda Correia, Departament of Modern Languages, Literatures and Cultures, Faculdade de Ciências Sociais e Humanas, Universidade Nova de Lisboa
Self comes to mind ‒ Interactions between science and culture
In the second edition of The Two Cultures (1963) Snow speaks about a “third culture” which would enable communication between the literary intellectuals and the scientists. But this is not happening. According to John Brockman the literary intellectuals are not communicating with scientists and scientists are communicating directly with the general public. Science and scientific topics are becoming part of “public culture” with the help of the writing ability of scientists and the transformation of central scientific facts in relevant stories. This is what happens in António Damásio’s Self comes to Mind ‒ Constructing the Conscious Brain .
Damásio’s genealogy of the conscious brain combines the author’s narrating competence (in the first chapter titled “Awakening” Damásio describes his own conscious experience when landing in LA), his interest in answering the common reader’s questions about the subject and the attempt to prove with specific examples, that art, narrative and social culture grew entangled with a rebel self who discovered individual identity and creativity as it developed biologically. This paper puts forward some examples of how Damásio uses his literary, philosophical and cultural European background to present the results of his complex scientific investigation.