Session 5. Autour des dispositifs d’hybridation des savoirs dans l’espace public

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Florence Rudolf, « Architecture, Morphologie/Morphogenèse Urbaine et Projet, (Amup, JE 2471), INSA  Strasbourg,
Un dispositif de démocratisation des œuvres architecturales et des projets urbains

La réception des œuvres architecturale et urbaine ne figure pas classiquement au rang des études sociologiques qui analysent le devenir des productions et innovations scientifiques et techniques pas plus qu’elle n’intéresse les acteurs de la diffusion de la culture scientifique et technique. Les productions architecturales et urbaines procèdent pourtant d’une culture d’initiés aussi hermétique que celle associée aux disciplines scientifiques et aux experts qu’elles forment. La mise au point d’un dispositif d’exploration des expériences vécues associées à un fragment urbain typique de l’architecture et de l’urbanisme des années 70 procède d’un tel constat. La démarche participe d’un effort de reconnaissance des productions architecturales et urbanistiques comme culture scientifique et technique digne d’investigation sociologique. En mettant au point avec des artistes de l’art vivant un dispositif destiné à faire résonner les lieux architecturaux et urbains de leurs vécus, l’équipe de recherche Amup et l’association La ville est un théâtre ont exploré des formes de médiation des œuvres architecturales et urbaines dans un souci de démocratisation de ces objectivations. Elles ont réfléchi à des manières de communiquer à propos de pratiques qui, à l’instar de l’architecture et de l’urbanisme, demeurent hermétiques aux habitants dont elles façonnent les environnements en raison de leur confinement dans des collectifs d’initiés. Nous revenons sur cette expérience engagée dans le cadre des Journées de l’Architecture de 2010 que nous analysons comme une démarche de conception artistique, de réflexion épistémologique et de démocratisation technique. La conception de ce dispositif, sa réalisation, le retour d’expérience qu’il a permis et les analyses qu’il a suscité permettent de réfléchir à la culture architecturale et urbaine comme culture disciplinaire, scientifique et technique susceptible de déposséder les habitants de leur environnement et de participer à des formes d’aliénation. Cette initiative contribue à une réflexion sur les manières de communiquer sur le sens des œuvres architecturales et des projets urbains.

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Agnès Weill,  CREM, Université de Nancy 2
« Le Comité local d’information et de suivi (CLIS) de Bure (Meuse) : un acteur original dans l’information sur la gestion des déchets nucléaires »

Les acteurs du champ nucléaire relèvent de domaines nombreux et de compétences variées.   Au nombre des différentes catégories d’acteurs de ce champ spécifique, en figure une, qui relève du registre de la consultation /information : il s’agit des commissions locales d’information (CLI), accompagnant chaque site, sur lequel est installé un équipement énergétique ou une industrie nucléaire de base (INB). Elles remplissent, depuis 2006[1], une mission générale d’information, de suivi et d’expertise, concernant le fonctionnement de l’installation et son impact environnemental et sanitaire. L’originalité du Comité local d’information et de suivi (CLIS) des installations de l’Agence nationale des déchets radioactifs (ANDRA) à Bure (Haute-Marne), tient davantage aux enjeux du projet du laboratoire de l’ANDRA, seul exemplaire sur le territoire actuellement, qu’aux missions de la commission elle-même, assez proches des 30 autres CLI des sites nucléaires français.

Plus précisément,  au-delà des missions que la loi confère aux CLI, auquel est assimilé le CLIS, il apparaît nécessaire de comprendre les enjeux pluriels qui traversent cette instance, à la fois dispositif et acteur, dans une posture marquée par des tensions, entre animation du débat local, veille citoyenne et courroie de transmission.

Il s’agira, à travers cette communication, d’interroger ce dispositif, qui tente de construire un espace d’expression complexe, au-delà du caractère institutionnel que lui confère la loi  TSN de juin 2006. Dévolu à l’information du public et à la surveillance des installations nucléaires, le CLIS présente la spécificité d’englober une pluralité d’acteurs traversés par des intérêts hétérogènes.

Quelle place, quel positionnement, quelles évolutions depuis 12 ans d’existence du CLIS  sur ce territoire ?

Ce sont là les questionnements qui structureront cette communication, autour de trois points essentiels :

La question de l’accès à l’information, pierre angulaire du rôle du Comité, s’avère complexe à remplir, du fait de la nature du champ concerné, à la fois scientifique et stratégique, mais aussi sujette à controverses sociales.

Second point, l’espace d’expression qu’il contribue à construire, met en lumière des positionnements ou des rapports de force qui évoluent entre les acteurs qui le composent et ses interlocuteurs. Ancré sur le territoire régional, il est constitué de 91 membres et réunit à la fois le personnel politique local (en nombre majoritaire), les professionnels (syndicats agricoles, salariés et patronaux), des personnalités qualifiées et les associations. Aussi, est-il traversé par des intérêts souvent divergents, voire contradictoires. Sa gouvernance a d’ailleurs connu des tensions marquées et questionne la portée de ses décisions.

Enfin, on tentera de souligner qu’il s’efforce d’adopter une posture de médiateur, ou, du moins, d’animateur du débat au plan local, posture dont la légitimité reste encore à consolider.

Notes :

  1. La loi de 2006, relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dite loi TSN.

Références :

  • Barthe Y., 2006, Le pouvoir d’indécision : la mise en politique des déchets nucléaires, Paris, Éd. Economica, coll. Études politiques.
  • Blatrix C., 2002, « Devoir débattre. Les effets de l’institutionnalisation de la participation sur les formes de l’action collective », Politix, volume 15 n° 57, pp. 79-102.
  • Callon M., Lascoumes P., Barthe Y., 2001, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Éd. du Seuil.
  • Charaudeau P., 2008, La médiatisation de la science, Bruxelles, De Bœck.
  • Chavot P., Masseran A. 2010, « Engagement et citoyenneté scientifique : quels enjeux avec quels dispositifs ? », Questions de communication, 17, Les cultures des sciences en Europe, pp. 81-106.
  • Habermas J., 1981, Théorie de l’agir communicationnel, trad. fr. Fayard, 2001.
  • —————, 1997, Droit et démocratie. Entre faits et normes, Paris, Gallimard, coll. NRF Essais.
  • Lascoumes P. 2002, « De l’utilité des controverses socio-techniques », Journal international de Bioéthique, chapitre 7, 2002/2 – Volume 13.
  • Lascoumes P., Le Galès P., 2007, Sociologie de l’action publique, A. Colin, coll. 128.

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Agnès d’Arripe, LASCO (UCLouvain) et HaDePaS (Institut Catholique de Lille)  et Cédric Routier HaDePaS, Institut Catholique de Lille
Les chercheurs aux prises des règles communicationnelles des professionnels : enjeux de la collaboration au sein d’un SAMSAH

Notre communication s’interroge sur la contribution respective effective pouvant exister entre savoirs issus de la recherche et savoirs issus de la pratique. Lors du premier volet de ce colloque, nous avions présenté des ateliers de recherche réunissant des professionnels de la santé et du social et des chercheurs universitaires de diverses disciplines. Nous avions étudié les comportements et les règles de communication s’instaurant spontanément quand des individus détenteurs de savoirs différents se réunissent autour d’un projet commun. Si l’objectif premier de ces ateliers était de produire du savoir ensemble, un objectif secondaire était également présent dans le chef des organisateurs. Les ateliers s’inscrivaient, en effet, dans une démarche initiée autour de la création d’un Institut pensé comme articulation nécessaire entre recherche, enseignement-formation et pratiques des professionnels. Le second objectif des ateliers était donc d’amorcer cette collaboration entre chercheurs et professionnels. Quelques mois après le début des ateliers, ce second objectif a pu être rencontré quand une participante, responsable d’un SAMSAH, a contacté l’animateur de son atelier pour lui demander de mettre ses compétences de chercheur au service de l’équipe du SAMSAH. La demande initiale était de réaliser un travail commun de l’équipe et des chercheurs sur une « traduction » des valeurs individuelles et professionnelles. Il s’agissait également de construire ces valeurs sous l’angle d’un collectif, avant de penser dans un second temps les aspects liés à la communication de celles-ci. Ce cas de figure s’est avéré bien différent de celui des ateliers de recherche. Ce n’est plus le professionnel qui se trouve immergé dans le quotidien des chercheurs et qui se socialise à ses codes, mais le chercheur qui est aux prises avec les règles communicationnelles des professionnels. Même s’ils sont sollicités pour apporter leurs compétences de chercheurs et que l’on retrouve cette position affichée d’humilité des professionnels envers le savoir scientifique, nous sommes loin d’une position dans laquelle le scientifique viendrait combler le fossé d’ignorance existant entre lui et les professionnels. Nous nous interrogerons sur le dispositif de recherche mis en place dans cette situation particulière depuis les sollicitations émanant de professionnels du médico-social jusqu’à la méthodologie choisie et au déroulement de la recherche. Nous exposerons comment notre manière de procéder a été pensée pour ne pas limiter notre intervention à de la  simple consultance au service du management du service qui nous a sollicité, tout en apportant notre contribution concrète à ce service.  Nous  évoquerons également notre volonté de construire une véritable culture hybride riche des apports des scientifiques et des professionnels concernés.

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Irina Moglan, Agnès Alessandrin et Anne-Marie Houdebine, Université Paris Descartes, Faculté des Sciences humaines et sociales Sorbonne
De l’éthique participative: médiation dialogique entre SHS et consommateurs

Depuis des années notre partenariat de recherche constitué par des universitaires et des professionnels réfléchit sur la pluridisciplinarité des savoirs dans le contexte des problématiques de société issues, entre autres, des instances institutionnelles commanditaires (développement durable, contamination alimentaire, bien-être animal, changement climatique, réduction du CO2, grippe aviaire etc.). La transmission des savoirs, scientifiques et techniques, fait en même temps l’objet d’un souci éthique constant : de formation, de dialogue et de médiation avec les partenaires professionnels associés et surtout avec les différents panels de consommateurs impliqués dans ces recherches participatives. L’efficacité d’une telle entreprise – entre scientifiques (SHS) et public – est vérifiée non seulement par l’élaboration d’un cadre analytique répondant aux attentes préliminaires, mais également par le regard posé sur les sciences elles-mêmes dans le positionnement des acteurs consommateurs : la transmission se fait ainsi en respect de leur propre position, de leurs questionnements, (résistances, transformations, bref, des processus de compréhension et appropriation en cours) lors des séances pédagogiques, de découverte et des bilans de route.

Dans ces rencontres pluridisciplinaires où des SHS se côtoient efficacement (sémiologie, linguistique, sociologie, économie, histoire et philosophie des sciences) les stratégies oratoires de chacune se retrouvent confrontées aux représentations et savoirs propres des enquêté-es. Cela dans le sens où il ne s’agit pas de « vendre » les sciences ou de les promouvoir, mais de les actualiser constamment, dans leur propre théorie et démarche, l’une et l’autre, en les confrontant aux sujets de société dits sensibles aussi, cela en interaction avec le public tout venant avec lequel nous travaillons, comme avec les commanditaires institutionnels dans certains cas (expertises).

Dans le contexte actuel où l’on assiste à une hiérarchisation tacite mais pourtant désignative des spécialistes (scientifiques, du côté des sciences dites « dures », sociologues, sémioticiens, etc., dans celles dites « molles »), il nous paraît d’autant plus important de dégager et solliciter le point de vue citoyen qui traverse également chacun de nous, même spécialistes. La question d’éthique se pose ainsi une deuxième fois : l’éthique de la recherche scientifique peut se trouver mise en cause – et a alors à se soutenir (des exemples précis pourront être donnés) – eu égard aux exigences, institutionnelles et marchandes, que tel ou tel commanditaire voudrait parfois promouvoir. Là encore un dialogue est nécessaire pour que chacun puisse veiller à ce que la demande sociale ou professionnelle n’occulte ni la démarche scientifique dans son éthique, ni les objectif socioprofessionnels et humains des diverses parties.

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