Session 9. Disposer des publics ou engager les citoyens, quels possibles, quelles volontés ?

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Boris Urbas, Laboratoire CIMEOS EA4177, Université de Bourgogne
Toucher ou ne pas toucher ? L’oeuvre d’art dans une exposition scientifique: le public et la médiation autour de « Vous avez dit radioprotection? »

L’exposition itinérante « Vous avez dit Radioprotection? » coproduite par le Pavillon des sciences, Centre de Culture Scientifique (CCSTI) de la région Franche-Comté, l’Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire (IRSN) et Pays de Montbéliard Agglomération, propose un parcours historique et scientifique sur les rayons, la radioactivité et la radioprotection. Ses concepteurs ont proposé un parcours alternant d’une part dix créations artistiques des plasticiens Piet.So et Peter Keene, et d’autre part dix bornes présentant chacune un film et un objet constituant une unité didactique.

Dans le cadre d’une thèse de doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication, nous nous sommes attardés sur la façon dont le public a perçu a priori les oeuvres invoquant dans leur matérialité composite un imaginaire de l’histoire des sciences et des techniques: sont-elles ressenties comme des oeuvres d’art ou comme des instruments scientifiques (interdiction de toucher); ou encore des manipulations didactiques et/ou ludiques (« interdiction de ne pas toucher »)?

Comment s’articulent les films et les oeuvres d’art dans l’appropriation du contenu scientifique par les visiteurs? Plusieurs études qualitatives ont pour cela été réalisées durant le passage de l’exposition dans des structures différentes: à Lausanne (Suisse) dans un musée, à Chambéry dans un CCSTI, et à Nantes dans un lieu d’exposition d’art contemporain. Une trentaine d’entretiens semi-directifs en fin de visite auprès des visiteurs de l’exposition et des professionnels, et des observations ethnosociologiques ont été effectués.

La réception des oeuvres et des films sera abordée dans cette communication dans le cadre expographique mais également du point de vue des conditions de la visite; notamment sous l’angle des contraintes particulières dans l’appropriation de l’exposition par le public et par les médiateurs scientifiques. D’une implantation à l’autre une attention sera accordée dans une perspective comparative à des critères comme le profil des répondants; la programmation habituelle du musée accueillant l’exposition; la proposition ou l’absence de médiation présencielle se focalisant sur la sensibilité esthétique ou la curiosité des visiteurs.

En mettant en perspective les objectifs affichés par les concepteurs de l’exposition avec les potentialités de la réception du contenu scientifique, nous chercherons ainsi à saisir comment la forme de l’exposition et la thématique de la radioprotection permettent d’approcher les différentes sensibilités du public renvoyant explicitement ou implicitement à leur conception de l’art, de la vulgarisation scientifique et de la médiation elles-même, du politique au travers de l’évocation de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl abordée dans l’exposition, ou du rapport aux évènements et controverses récentes.

Références :

  • Bernaud Jean-Yves, Brière Michel et Lochard Jacques, 2010, « Art, science et culture scientifique », La Lettre de l’OCIM, vol. , n° 127, p. 5-13.
  • Boudia Soraya, 2003, « Expositions, institutions scientifiques et controverses publiques. Le cas du nucléaire (1945-2000) », Médiamorphoses.
  • Boy Daniel, 1999, Science, démocratie et risque majeurs, Paris, La documentation française. De Certeau Michel et Giard Luce, 1990, L’invention du quotidien, tome 1 : Arts de faire, Nouv. éd.
  • Gallimard. Irwin Alan et Wynne Brian, 2004, Misunderstanding Science: The Public Reconstruction of Science and Technology, Cambridge University Press.
  • Le Marec Joëlle, 2007, Publics et musées : La confiance éprouvée, L’Harmattan.
  • Lévy-Leblond Jean-Marc, 2010, La science n’est pas l’art : Brèves rencontres…, Hermann.
  • Schiele Bernard et Koster Emlyn H., 1998, La révolution de la muséologie des sciences. Vers les musées du XXIe siècle ?, Presses Universitaires de Lyon.
  • Sicard Monique, 1999, « Ce que fait le musée… Science et art, les chemins du regard », Publics et Musées, vol. 16, n° 1, p. 41–53.

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Marie Cambone, Laboratoire Culture et communication / université d’Avignon et des pays de Vaucluse, centre Norbert Elias / Université du Québec à Montréal et Chargée d’études et de recherche au CCSTI Grenoble – La Casemate
L’évaluation de la participation de jeunes citoyens à une exposition sur les pratiques numériques

Concevoir une exposition dans un centre de culture scientifique technique et industrielle (CCSTI) sur un thème actuel de sciences et sociétés tel que celui des nouvelles pratiques numériques et des nanotechnologies pose des questions de fonds en muséologie. Pour l’exposition Tous connectés ? Enquête sur les nouvelles pratiques numériques, l’équipe de La Casemate a choisi une démarche de muséologie participative afin de dépasser les discours circulant sur ces technologies et leurs usages, qui laissent place à des fantasmes ou à une certaine technophobie. Pour ce faire, deux dispositifs ont été mis en place : une évaluation préalable et un atelier créatif qui a donné lieu à la réalisation de vidéos par des jeunes de 18 à 25 ans sur le thème de la ville de demain. Ces vidéos sont projetées dans l’espace de l’exposition. Cette dernière initiative conduisait deux objectifs pour le CCSTI :

  • Mettre au jour les représentations des nanotechnologies chez les 18-25 ans, utilisateurs de ces technologies mais non-experts,
  • Proposer un discours correspondant aux savoirs des visiteurs, à leurs représentations et à leurs questionnements tout en apportant des éléments de réponses en tant que centre de culture scientifique.

Nous focalisons notre communication sur la réception de ces créations par les publics de l’exposition. A travers cette étude, nous souhaitons voir à quel point le choix d’une muséologie participative constitue un apport, une limite ou un frein à l’élaboration et à l’interprétation d’une exposition par ses visiteurs. Quelles place et valeur sont attribuées aux points de vue des 18-25 ans dans l’espace même de cette exposition de sciences et sociétés, à la fois du point de vue des concepteurs et des visiteurs ? Nous ferons l’hypothèse que la présence de ces vidéos dans une exposition de sciences amènera les visiteurs à s’interroger sur les aspects sociétaux et éthiques de ces innovations techniques et de leurs applications, mais également à questionner la légitimité de la parole du « non-expert » dans une exposition de mise en questionnement des sciences et techniques. Nous mettrons en perspective ces résultats avec la réception par ces mêmes visiteurs d’interventions de professionnels dans l’exposition, mettant ainsi en exergue l’opposition entre discours expert et discours profane dans une exposition de sciences.

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Daniel Schmitt, LISEC, Université de Strasbourg
Comment les enfants construisent leur expérience de visite dans un centre d’initiation aux sciences

Qu’il s’agisse de rénover un équipement de médiation scientifique ou qu’il s’agisse d’en concevoir un neuf, les arguments politiques croisent toujours à un moment ou un autre « la sensibilisation aux sciences », « les apprentissages » et « la transmission des savoirs ».
La transmission des savoirs relève encore du modèle du télégraphe où l’on se préoccupe surtout des messages à délivrer, des messages à contenu formel, sans s’interroger suffisamment – non pas sur la bonne réception du message – mais bien sur ce que nos enfants font lorsqu’ils perçoivent, manipulent, associent, courent, parlent… ou justement ne font rien du tout ou en tout cas, pas ce que les concepteurs imaginent.
De plus, au-delà des activités cognitives conscientes, l’expérience des enfants et plus généralement des « visiteurs », comprend de nombreuses activités cognitives inconscientes (comme le découpage des objets perçus dans l’espace sensoriel, entendre, etc.) et des actions physiques (marcher, toucher, manipuler, etc.) pour ne citer que les plus évidentes, qui participent directement et indirectement à la construction de leur expérience de visite et surtout de la construction du sens.

C’est pourquoi, nous proposons de mettre en évidence certains schémas récurrents de production de sens chez des enfants en considérant la dimension corporelle comme indissociable de la dimension cognitive. Comme le dit Francisco Varela, l’esprit n’est pas dans la tête, l’esprit n’est pas cette « chose » computant des symboles mais l’esprit peut être approché comme l’émergence d’une action incarnée. Le concept d’énaction (Varela, 1989) rend compte de cette approche et sert de support épistémologique à l’anthropologie cognitive située développée par Theureau (Theureau, 2009), cadre théorique de notre étude.

L’étude porte sur 15 visiteurs âgés de 8 à 16 ans au sein du Vaisseau à Strasbourg, équipement public porté par le Conseil général du Bas-Rhin qui se définit comme un centre interactif de médiation des sciences.

  1. Le visiteur est équipé d’une micro-caméra permettant d’enregistrer son champ visuel in situ.
  2. Le visiteur est ensuite confronté à sa propre production vidéo, ce qui favorise sa réminiscence plutôt que sa remémoration (Rix & Biache, 2004) et nous permet d’obtenir des verbalisations qui présentent une très forte corrélation son vécu in situ.
  3. Les verbalisations recueillies lors de cet entretien sont décomposées en signes qui permettent précisément de faire ressortir la construction du sens du point de vue du visiteur.

L’intérêt de ce dispositif méthodologique réside dans le fait de pouvoir montrer et partager des instants précis où le visiteur fait émerger du sens, sans influencer de façon significative son parcours et son expérience (Theureau, 1992).

Avec l’accord et l’engagement du visiteur dans ces enquêtes, nous pouvons accéder à la constitution de ses connaissances-en-acte et rendre manifeste des fragments de temps où se bricole et s’élabore une étonnante diversité de rapports aux objets, aux œuvres et aux savoirs.

Ainsi, la question de la diffusion des savoirs est posée ici sous un angle nouveau qui met en exergue, non pas la transmission d’informations, mais la constellation des histoires qui construisent le visiteur et qui rendent compte de la construction-en-acte de savoirs et de sens dans l’espace de médiation.

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